Xavier Martin – Frédéric Thiriaux
Xavier Martin, l’expérience du paysage
La peinture de Xavier Martin participe de ces œuvres qui appellent la contemplation, et ne se laissent pas appréhender au premier coup d’œil – valeur rare dans un monde où, même dans le domaine artistique, l’immédiateté est souvent perçue comme valeur positive. Coréen d’origine, l’artiste se garde bien d’imiter la peinture traditionnelle asiatique, ou de la tourner en dérision comme le font – à des fins contestataires bien compréhensibles – tant d’artistes chinois contemporains. C’est davantage dans l’esprit que dans la forme qu’une parenté doit être recherchée avec les arts extrême-orientaux : les tableaux de Xavier Martin nous apprennent à rechercher au-delà des apparences, rendant plus confuse la frontière entre statisme et mouvement. La nature est le sujet de prédilection de l’artiste, mais son travail ne se limite pas à en fournir des images : pour son exposition à la galerie Flying Cow Project (Paolo Boselli), un banc public, une poubelle et un luminaire invitaient le spectateur à se reposer un instant de l’agitation urbaine en compagnie des œuvres.
Pour sa participation au Prix de la Jeune Peinture belge en 2003, une pelouse artificielle miniature et labyrinthique occupait le centre de la salle aux murs de laquelle étaient accrochés les tableaux.
Mais l’on ne saurait parler du travail de Xavier Martin en termes d’installation, car ces éléments extérieurs n’ont pour but que d’induire une relation plus intimiste avec la peinture. Ses petits panneaux sont autant de fenêtres sur des paysages qui semblent défiler sans fin devant nous. Le regard capte des nuances sans pouvoir saisir les détails – comme un souvenir qui donnerait une image à la fois plus complète, mais aussi plus floue, du voyage.
Les œuvres récentes tendent encore davantage vers l’abstraction sans toutefois jamais se résoudre à y succomber, à mi-chemin entre figuration et évocation – une démarche déjà entamée avec un « Paysage coréen » (2002) à peine esquissé par deux bandes horizontales. Les couleurs se fondent en de vastes aplats bruns ou verts qui conservent à la composition un lien avec le panorama suggéré. Parfois, un élément concentre en lui tout le sens de la composition : un petit bâtiment, esquissé en quelques traits et pourtant bien visible, posé sur la colline, tout comme les pavillons qui participent du répertoire classique de la peinture chinoise. Xavier Martin tient avec une grande rigueur le catalogue de ces compositions, qui chacune porte un titre la replaçant dans une série que l’on imagine infinie : « Paysage p03B1 – pavillon 4 » ; « Paysage p03B3 – pavillon 5 », etc. Rien de systématique pourtant dans le travail lui-même : chaque paysage est hautement individualisé et témoigne d’un rare sens de la lumière et de la couleur. A ces tableaux de petites dimensions, de format et d’épaisseur variable, le peintre sait opposer de très grandes compositions, où la couleur se fait plus dynamique, mais dans lesquelles les éléments constitutifs nécessitent, de la part du spectateur, une attention tout aussi soutenue ; la contemplation, clé de la compréhension du paysage.
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Frédéric Thiriaux
L’on pourrait presque taxer la série que Frédéric Thiriaux propose et expose à la Galerie Albert Dumont d’inspiration asiatique, tant le climat et la manière nous amènent à nous remémorer la sérénité qui prévaut dans les estampes des grands maîtres japonais. Rien de purement stylistique à proprement parler, plutôt une impression diffuse. Un travail qui porte essentiellement sur la patiente addition des strates, la superposition par dépôts successifs de teintes qui sont autant de couches atmosphériques composant le biotope des scènes qu’il donne à voir. Nulle réelle accumulation de matière qui finirait par gagner en épaisseur, plutôt l’insensible dessin en creux d’une foule de sillons diaphanes qui permettent de voir le tableau sous un jour subtilement et sans cesse renouvelé, au gré de notre évolution autour de ce dernier et de la lumière du jour. Ce travail du palimpseste est aussi la métaphore du temps, de la durée, de la volonté patiente et acharnée qu’il faut pour créer. Une science consommée s’inscrivant à dessein en contrepoint d’un univers supposément naïf. Ainsi, se côtoient et s’entrecroisent sédiments de couleurs savamment élues, déposées, diluées et mélangées, fondus chromatiques insensibles et saillies graphiques, gestes accidentels, irruptions figuratives qui sont autant d’incidents uniques et sur lesquels on ne reviendra plus. Une épure éthérée, qui confine à l’abstraction – car il est bien ici question de figuratif abstrait – et que seule vient lester la balafre d’un détail fragile : là une cabane d’enfant se découpant sur fond de brume, ici un volatile zébrant le ciel et lui conférant profondeur et dimension. Le tout, nourrissant une composition contemplative ; rêve d’un monde.
Cette saillie, c’est d’ailleurs souvent une maison. Edifiée d’un trait tremblé, à la plume ou au pinceau, elle semble symboliser l’équilibre éphémère du bonheur, de la quiétude, de la sérénité. Cette maison, c’est aussi la cellule qui se distingue de l’infini d’un monde dont les confins se diluent dans les limbes. Un monde majestueux mais effrayant aussi. Mystérieux. Un refuge donc, qui évoque la déréliction et le caractère désespérément perdu de l’individu dans la vaste cosmogonie. La maison peut parfois se muer en signe funèbre, un cercueil. Le gisant, réduit à sa plus simple expression de boîte grossière et à la fois transparente et brute, déposée sur un sol qu’on devine froid. Mais même de cette désolation affleure en filigrane un optimisme patient et entêté, pas totalement sur de lui mais qui nous dit que tout espoir n’est pas englouti. La vie encore et toujours.
Ivo Ghizzardi