Roel Goussey
La mer rapiécée
« (…) Il faut avoir distingué les deux éléments de la mélodie de la vie dans leur forme primitive ; il faut décortiquer le tumulte grondant de la mer et en extraire le rythme du bruit des vagues, et avoir, de l’embrouillamini de la conversation quotidienne, démêlé la ligne vivante qui porte les autres. Il faut disposer côte à côte les couleurs pures pour apprendre à connaître leurs contrastes et leurs affinités. Il faut avoir oublié le beaucoup, pour l’amour de l’important. » (Rainer Maria Rilke, « Notes sur la mélodie des choses », 1898, trad. B. Pautrat, Allia, 2008.)
L’art de Roel Goussey semble être un jour sorti de la mer et n’avoir de cesse d’y retourner. Probablement faut-il être né à Ostende pour savoir ce que c’est : les autres sont condamnés à y retourner, y retourner et y retourner encore, pour tenter de voir, de savoir, de sentir. Peut-être même n’y a-t-il rien à voir, rien de plus à savoir, et pourtant tout est là. Côte à côte les couleurs pures, le rythme et le tumulte, le point et le trait ; et puis l’apprentissage du discernement entre le beaucoup et l’important.
C’est un poète, le premier qui a eu l’idée qu’il fallait nommer, comme autant de gouttes, chacune des couleurs. C’est un fou, celui qui, le premier, a essayé. Seul un peintre peut les réconcilier – ou même simplement concilier ces acharnés du paradoxe, ces conquérants de l’aporie.
Avec la mer, la pratique de Roel Goussey semble avoir en commun de ne connaître, de ne vouloir désigner aucune frontière. Tout est mélange mais rien ne se perd. On voit bien un horizon, une bordure entre la terre et l’eau, entre l’eau et le ciel, mais si la différence est claire, en tracer la limite revêt toujours quelque chose d’arbitraire et de lapidaire, d’artificiel : l’horizon est une invention de peintre, au mieux ; au pire, une décision de géomètre. Une eau se jette dans l’autre, tout comme une technique se prolonge dans sa voisine – comment les dissocier ? Dans sa tête, dans son vaste atelier, sur les murs ou au fil des pages, Roel Goussey aime séparer les choses, les distinguer. Du moins il essaie. Il y a des périodes, des dominantes, des manies ou une obsession, des variations, un systématisme parfois, un fil rouge qui guident certaines expériences. Des souvenirs aussi, des impressions, des sensations : eux seuls dictent une différence légitime. Mais si l’on veut se pencher sur l’aspect à la fois protéiforme et organique de son œuvre, dans son étrange et incessante dialectique entre mouvement (des vagues et de la création) et arrêt (sur une forme, une couleur, une image, une technique), alors séparer un élément d’un autre devient aussi impossible que de départir deux gouttes d’eau, ou même une mer de la suivante. Et même, peut-être, une mélodie d’un tumulte.
D’où aussi la difficulté à isoler, à élire ou choisir une oeuvre plutôt qu’une autre : chacune se retrouve prise, emprise dans une série ou recomposant avec d’autres une architecture particulière, un paysage épars ou foisonnant, au gré d’assemblages à la fois souples et stimulants. Et si chaque œuvre est unique, cela ne signifie pas – bien au contraire – qu’aucune soit définitive.
Cependant, peut-être la logique du fragment laisse-t-elle alors entrevoir chez Goussey la nostalgie d’une unité perdue, l’idéal (illusoire) d’entités réconciliées, de bribes rapiécées, d’une mer que rien n’égare et qui ne laisse rien au hasard, mais qui n’est jamais entière que parce que l’on a pris la peine de la ramasser, de la considérer, de la recoudre. Touche après touche, avec les moyens du bord, mais aussi avec patience et grande délicatesse. Modestie de coquillage, en ces temps où les egos, en se déversant en eux, aiment à se faire aussi gros que des océans…
Dans sa façon de considérer l’impression comme une technique pouvant informer – c’est-à-dire nourrir et infléchir – toutes les autres, Goussey aime d’ailleurs brouiller les pistes et brasser large : s’il est imprimeur, c’est pour explorer différemment le geste de peindre ou de dessiner. Et s’il peint ou dessine, ce n’est que comme une étape dans une plus vaste chaîne de production ou de transformation. Peignant la couleur comme un imprimeur, mais l’imprimant comme un peintre, l’artiste explore sans cesse la frontière, imaginaire elle aussi, entre répétition et variation ; chaque épreuve est sujette à intervention et aucune n’est semblable à l’autre. Le retour incessant à la mer (elle aussi, toujours la même et jamais pareille) déjoue sans cesse l’œil et préserve sa démarche de toute monotonie, de toute monomanie, lui faisant épouser un mouvement qui, considéré de loin ou par un observateur distrait, pourra sembler infime, mais pour un amateur assidu et attentif, riche de perpétuels et essentiels renouvellements.
La même chose vaut pour les objets ou les matériaux, tantôt trouvés, tantôt traités, et là aussi la nuance peut se faire mince – mais indiscutablement elle existe, ou son hypothèse existe. Verre ou métal, cartons et bois, toiles et tissus, papier ou pierre : la façon dont il joue (car toucher la matière est un jeu, un des premiers de l’enfant, succédant aux odeurs) retourne à une curiosité primordiale et érudite à la fois. Simple, parce qu’une forme pauvre ou inachevée n’est jamais déconsidérée ; complexe, parce qu’une haute conscience de l’art et de ses enjeux préside au moindre choix, à la moindre élection. Chaque œuvre se doit d’ailleurs d’être appréhendée dans son épaisseur : couche sur couche s’il s’agit de couleur, feuilletée par le passage du temps, sans cesse reprise à l’épreuve d’une technique. Certes, le grand dessein en demeure architectural ; la mise en forme, empreinte de constantes typographiques ; le parachèvement, influencé par le goût de l’imprimeur. Mais jamais cela ne prend le pas sur la poésie préservée, la poésie immédiate, la poésie infinie de l’objet ou de l’essai considérés dans leur détail, dans leur nudité.
Lithographie, xylographie et sérigraphie peuvent très bien se compléter, aboutir et se rejoindre en une seule œuvre ; des retouches au crayon, au pinceau ou au fusain viennent parfois s’ajouter, apportant l’ultime ingrédient nécessaire ou éloignant, au contraire, délibérément le travail de toute prétention à une perfection de toute façon illusoire… Paradoxe d’un recouvrement qui ne porte les traces d’aucune pâte ni les marques d’aucun outil, mais opère par des aplats et des effets de lissage aux nuances presque imperceptibles. Travail en relief ou en creux… Parallélismes, interférences ou juxtapositions… Recouvrement du support tantôt de façon égale ou uniforme, tantôt en épousant ou en accentuant les défauts, les rainures, les anfractuosités. Artefacts pleinement assumés, ou trompe-l’œil jouant avec les dons de la nature…
Tous les moyens sont bons s’ils servent une même intention décidée, et peu importent les catégories si l’on ne peut pas jouer avec elles et réinventer, au passage, quelques règles. Car, comme l’a très bien pointé dans un texte d’il y a quelques années l’historienne de l’art Anne Gersten, c’est bien sur un équilibre entre le code et son détournement (« entre la règle et l’émotion », disait l’essayiste en replaçant, le travail, à juste titre, au croisement de l’abstraction géométrique et de l’art construit) que s’appuie une bonne partie de la création de Roel Goussey. On pourrait même tenter de préciser : entre la rigidité et la vibration.
Car chez lui la densité n’est pas le contraire de l’évanescence. La stabilité n’est pas le contraire de la fragilité. Pas plus que l’essentiel n’est l’opposé du dérisoire. L’artiste établit entre les apparents contraires des conditions d’existence réciproques. Et si la symétrie est souvent présente, partout elle se voit légèrement rompue ou du moins ébranlée. Elle ne tend pas à l’essence du visible, dans une sécheresse épurée à la Mondrian. Elle ne tend pas à la spiritualité, comme chez le vertigineux Rothko. Elle reste délibérément à la surface des choses, là où elles ont le plus à dire, mais là aussi où elles cachent le plus mystérieusement leurs secrets. A l’indéfinissable mais très exacte lisière, somme toute, entre le dedans et le dehors.
De l’eau, le philosophe (Bachelard, L’Eau et les rêves, José Corti, 1942) nous a enseigné les voies d’interprétation symbolique infinies auxquelles elle pouvait mener… Variété des gestes et des problématiques qui nous lient à la source de vie ! L’humaniste et le militant nous rappellent sa rareté : la préciosité à présent de la moindre goutte… Approcher l’eau et se frotter à elle, c’est peut-être aussi se rappeler au principe, se ramener à peu, se confronter à soi-même. Rapprocher l’individu de l’espèce. Et, modeste et immense projet à la fois, réconcilier la vue (une vision) et la visée (un destin, un horizon).
Il en va presque de même aujourd’hui du contexte de consommation de l’art et de consommation du bord de mer : l’effet de groupe, voire de meute, domine et vous englue. La contemplation de la mer comme le rapport à l’art vous confrontent à la nécessaire conquête d’une solitude, que ce soit au moment de créer ou au moment de recevoir. Tourisme et internet : même tsunami. Il faut savoir s’abstraire de la marée humaine, s’extraire du flot envahissant de la médiocrité nombriliste ou publicitaire. Travailler avec le rebut, le rejet, le déchet de ce que produit et abandonne la société de consommation. Non pas pour recycler (cette façon écologique de ne pas sortir de la logique économique), mais pour décycler : faire changer de cycle, de statut, de registre. Sans forcément prétendre à faire œuvre à tous les coups, les petits objets de Roel Goussey nous invitent à poser un regard différent sur le fragile, l’insignifiant, l’échoué. (Il y aurait, si ce n’a déjà été fait, toute une théorie à élaborer sur les liens et les prétendues différences entre l’échec et l’échouage en matière de mer et d’art.)
Cette économie de moyens est liée à une forme d’économie de l’image. Il faut savoir produire peu et tâtonner ; certaines techniques vous y obligent et c’est bien ainsi. Il faut savoir, comme une mer, se retirer, pour proposer lentement, laisser affleurer sur la toile ou sur le papier comme sur le rivage les fruits d’un ressac ou d’une décantation.
Les œuvres d’art sont d’une infinie solitude, nous rappelait Rilke, et c’est dans la solitude qu’il faut pouvoir les rencontrer, mais c’est dans l’idée de leur ensemble qu’il faut pouvoir les aimer, les embrasser.
« (…) Que l’on prend, que l’on jette… comme la mer rejette… les goémons » (Serge Gainsbourg – une de ses plus belles !).
Dans un monde d’images où le partage règne sans partage, attendre, garder, cacher semble rare, étrange, à la limite douteux. A peine faite, une image se devrait être vue (puis oubliée) par celui qui l’a faite, pour circuler au hasard dans des communautés de regards anonymes. Le bon sens populaire ou l’usage paresseux voudraient même lui faire « contenir mille mots », mille infos, mille couleurs, un trop-plein d’émotions anecdotiques – et si possible, choquer un peu.
Une image de Roel Goussey, à l’inverse, est lente à décanter et elle contient peu de mots. Une ou deux couleurs à la fois, le plus souvent. Rien de choquant et une seule émotion mais riche, nuancée, durable. Pour autant elle ne doit pas être considérée seule : sa communauté à elle, ce sont les autres images, les essais juste avant ou juste après, les couleurs voisines qui, comme les cordes d’un piano, résonnent entre elles par sympathie. Si son monde contient mille couleurs, et si l’artiste cherche à les embrasser toutes, c’est par petit nombre à la fois.
L’art précieux de Goussey, somme toute, c’est celui d’émerveiller avec trois fois rien. Tout en sachant que trois fois rien, ce n’est jamais peu, et même peu ce n’est jamais n’importe quoi. Aussi plat soit-il, un encéphalogramme recèle toujours une imperceptible dominante de couleur ; il ressemble à cette surface de l’eau qui, au loin, nous apparaît comme une image mentale, la première ou la dernière, peut-être même la seule. Irradiante, magnétique.
La folie guette, la mer veille : pour qui n’a pas perdu la mer, pour qui n’a pas perdu l’esprit ni le double sens des mots, pour qui n’a pas perdu le goût de la lumière, dès lors, tout est trésor.
— Emmanuel d’Autreppe, septembre 2015
Uit liefde voor de dingen
In 1455 drukte Johannes Gutenberg de eerste bijbel met loden letters. Hij bond losse letters samen, drukte ze af en creëerde literaire betekenis. Op het vlak van kennisverspreiding veroorzaakte hij een aardverschuiving in de Westerse beschaving.
Gutenbergs loden zetmateriaal bestond uit eenvoudige driedimensionale vormpjes. Dit materiaal was functioneel en ondergeschikt aan de boodschap die het achterliet op het perkament of het papier. Het heeft tot ver in de 20ste eeuw geduurd tot de idee ontstond om met zetmateriaal ook andere dan literaire betekenissen te genereren.
De Nederlandse kunstenaar en drukker Hendrik Nicolaas Werkman (1882-1945) speelde op dit vlak een voortrekkersrol. In 1923 begon hij te experimenteren met het afdrukken van zijn drukkersgereedschap. Met lettervormen, inktrol en handpers ontwikkelde hij een unieke techniek (1), met als resultaat een lange reeks zogenaamde “druksels”.Werkman gebruikte hierbij transparante inkt waardoor het papier als drager een beeldende rol blijft spelen. Veel van deze druksels zijn eenmalige drukken, monotypes. Op deze manier negeerde hij het multiplicerende karakter van de grafiek en benadrukte hij het belang van handenarbeid bij de artistieke creatie. Deze attitude sluit aan bij de ideeën van het Bauhaus waar men streefde naar het opheffen van de grenzen tussen kunst en ambacht.
Roel Goussey is een bewonderaar van Werkman. De grafische strategieën die Werkman toepaste waren voor hem een bron van inspiratie. Net zoals Werkman drukt Roel Goussey met los zetmateriaal – grote houten karakters uit de oude lettterkast – en maakt er typografische composities mee. Waar dit bij Werkman zelden of nooit tot abstractie leidt, is dit bij Roel Goussey wel het geval. De typografische tekeningen (zoals Goussey ze zelf benoemt) in het boek “Ballade” (2) zijn hiervan een voorbeeld. Lettervormen worden constructie-elementen. Voorwerpen uit het drukkersvak worden gebruikt als bouwstenen voor sobere abstract geometrische beelden. Door de lettervormen te beschouwen als “ding”, als onafhankelijk object, sluit Roel Goussey zich aan bij de vele kunstenaars die in de twintigste eeuw hun persoonlijke relatie met de dingen belangrijker achtten dan de louter visuele verschijning of de functionaliteit ervan. Bij Roel Goussey uit zich dit in een voortdurende dialoog tussen hemzelf en zijn materiaal, tussen het drukkende en het gedrukte, tussen het negatief (als vorm) en het positief. Of anders geformuleerd, tussen vorm en tegenvorm. Deze artistieke praktijk bepaalt zijn onderzoek en betekent een permanente procesevaluatie.
Roel Goussey gaat op zoek naar de limieten van de grafiek en botst hierbij op de grenzen van de tweedimensionaliteit. Hij wil deze overschrijden om terecht te komen bij de derde dimensie. Daarom heeft hij een aantal werken gemaakt waarbij hij beide zijden van het transparante (Japans) papier bedrukt. Omdat de achterkant (of de voorkant) doorschemert naar de andere zijde, ontstaat er een driedimensionale beweging, of zo men wil een driedimensionaal “aanvoelen”, omdat zowel voor- als achterkant van het papier gelijktijdig het beeld vormen.
Een andere manier om driedimensionaliteit te introduceren in een grafisch beeld, is het drukken op papier dat zodanig geplooid is dat, wanneer het ontvouwd wordt, een onbedrukt stuk van het papier te voorschijn komt. Dit onbedrukte fragment veroorzaakt een visuele breuk met de rest van het monochroom bedrukte blad. Het beeld wordt bepaald door de vouw in het papier en de plaats die de kijker inneemt.
Roel Goussey maakt ook sculpturen. Het zijn assemblages ontstaan tijdens het dagelijkse “bezig-zijn” in het atelier, zijn “Werkstätte”, die belangrijke plek van handelen en arbeid. Daar ligt zijn wereld uitgestald. Een universum dat bestaat uit zorgvuldig gerangschikte objecten, stukjes hout in geometrische vormen, potten inkt en verf, proefdrukken, schetsen en trouvailles. De kleuren en de objecten staan en liggen naast elkaar en kunnen ineengepast worden als een abstracte puzzel. Zo ontstaan er “stapelingen” waarvan in eerste instantie de onderdelen niet aan elkaar gefixeerd worden. Het is alsof de kunstenaar wil zeggen dat dit voorlopige constructies zijn die morgen tot andere combinaties kunnen leiden.
Roel Goussey’s atelier is een laboratorium waar hij experimenteert met kleur, geometrie, textuur en objecten. Zet- en lettervormen krijgen er een nieuwe, uitsluitend formele rol. Zo maakt hij prenten door het afdrukken van de niet voor drukken bestemde zijkanten van de lettervormen. De aldus ontstane abstract geometrische beelden hebben geen link meer met typografie. Ze zijn bevrijd van betekenis. De kunstenaar, en bij uitbreiding iedereen, mag ze naar believen interpreteren.
Met die vrijheid en vanuit zijn affiniteit met architectuur en zijn fascinatie voor de grafische kwaliteiten van grondplannen (o.a. die van Le Nôtre voor de tuinen van Versailles), leest Roel Goussey sommige van deze beelden als plattegronden (3). In het licht van zijn onderzoek naar de derde dimensie en omdat grondplannen doorgaans abstracties zijn van architecturale structuren, gaat hij deze abstracties “driedimensionaliseren”. Dit doet hij door gietvormen te maken gebaseerd op de onderdelen van deze plattegronden en die vervolgens te vullen met plaaster. Zo ontstaan er abstracte plaasteren volumes zoals o.a. een kubus, een langwerpig driezijdig prisma, een platte rechthoekige balk (plaat), een tweevlakshoek … Met dit driedimensionaal architecturaal alfabet maakt Roel Goussey assemblages die lijken op fragmenten van architectuurmaquettes. Sommige onderdelen worden gekleurd. Hier en daar worden andere materialen toegevoegd. Kleine, overwegend witte, geometrische constructies die een mix vormen van sculptuur, architectuur en grafiek zijn het resultaat.
Ook hier knoopt de kunstenaar aan bij de ideeën van het Bauhaus op het vlak van discipline overschrijdend werken, waarbij architectuur een belangrijke rol speelt. Roel Gousssey gedraagt zich bij het creëren van deze maquettes als een architect die eerst ontwerpt en dan bouwt. Het abstracte, bijna spiritueel grafische wordt plots tastbaar en reëel. Door uit de tweedimensionaliteit de derde dimensie te laten oprijzen geeft hij zichzelf een plaats tussen de graficus en de architect.
Met deze grafische maquettes, deze architecturale sculpturen, is Roel Goussey aan de slag om “tombeaux” te maken voor een aantal kunstenaars, denkers en dichters die vermoord werden omwille van hun ideeën, standpunten of ideologieën. Het zijn mensen die op een of andere manier bepalend zijn geweest voor zijn kijk op het leven. Eén van hen is de terechtgestelde Hendrik Nicolaas Werkman, de drukker-kunstenaar die sprak door de dingen uit zijn atelier een nieuwe stem te geven.
Roel Goussey doet hetzelfde. Hij geeft objecten uit handen, schaart zich achter hun beeldend verhaal en maakt hiervan zijn stem. Uit liefde voor de dingen.
- (1) Dieuwertje Dekkers, Jikke van der Spek, Anneke de Vries, H.N. Werkman – Het complete oeuvre, Rotterdam 2008.
- (2) Ballade, typografische tekeningen van Roel Goussey, met teksten van Jan Florizoone, Schellebelle 2001.
- (3) Cfr zijn tentoonstelling “De Platte Grond” die in 1992 te zien was in Galerij Netwerk te Aalst.
Léon Wuidar
Autour de l’architecture
Est-ce une difficulté à bien entendre, dès l’enfance, qui a fait que j’ai regardé le monde qui m’entourait ? Je me souviens avec émerveillement des piles des ponts détruits entourées d’un flot silencieux. Le monde inanimé fascinait mon regard. La modestie des lieux n’empêchait pas mes yeux de les contempler longuement. C’est beaucoup plus tard que j’ai découvert le mot « métaphysique ».
L’atelier de mon père – il coupait des vêtements de travail – était un lieu encombré de formes découpées en papier ou en carton, pendues les unes devant les autres. Elles présentaient des traces blanches, roses ou bleues de craies de tailleur.
La curiosité m’a amené à ouvrir les livres, à pousser les portes. Très tôt dans ma chambre, j’ai expérimenté peinture, dessin et collage. Les Caractères de La Bruyère m’ont donné l’idée d’en réaliser quelques-uns.
Jusqu’à dix ans, j’ai vécu dans une très vieille maison où il n’y avait ni cour ni jardin, seulement une cave et un grenier où je prenais plaisir à me réfugier seul, partagé entre l’ennui et l’émerveillement.
De la maison entourée d’autres, on ne pouvait voir que des toits, des murs et des fenêtres. Des fenêtres qui marquaient la limite entre espace public et espace privé. Elles se sont lentement imposées comme le cadre d’une ouverture sur le monde.
Des dessins à l’encre montrent le plaisir d’organiser des formes, d’affirmer des proportions souvent proches de souvenirs d’architecture, révélant un monde de lenteur et aux titres étranges : plus moyen d’avancer, vers la sortie, etc.
Plus tard, ces dessins ont été tracés à la règle et quelquefois animés de lignes zigzagantes, de lignes parallèles, de collages de papiers marbrés anciens aux motifs très variés et qui m’avaient été offerts.
L’usage des papiers marbrés n’est pas sans me rappeler ce que firent les Cosmati, famille de marbriers romains qui utilisèrent des marbres trouvés dans les ruines des monuments anciens, manière de valoriser un matériau et de lui rendre toute sa splendeur.
L’exercice de la peinture de chevalet a ceci de particulier que l’œuvre n’est destinée ni à un lieu ni à une personne au contraire de la commande pour une architecture. C’est donc un travail de laboratoire en plus du plaisir même de peindre.
La présence d’un cadre peint s’est imposée peu à peu. Son exécution reste lente, mais il présente des avantages comme de limiter la composition, de mettre en évidence toutes les tensions asymétriques.
Aucune peinture n’est improvisée. Le point de départ est toujours un minuscule projet. Les proportions sont reprises avec le plus grand soin. La couleur va s’imposer en toute liberté. Souvent le résultat fait resurgir de lointains souvenirs.
Travailler pour tous et avec tous, sans vedettariat, mais plutôt avec un rôle social, relève sans doute d’une idée naïve que j’assume. Pour un service de dialyse, un motif inscrit dans un carré est répété dans 4 positions, évitant ainsi la monotonie et animant le mur avec une grande discrétion.
Au plafond d’une pièce plutôt petite, haute et étroite, une structure réticulée, toujours pareille, court systématiquement sur chaque solive. Le réseau en est si serré qu’il engendre sa propre substance plastique.
A Liège, l’étroite rue des Aveugles a été massacrée pour en faire une voie rapide. Ce projet, qui joue avec l’idée de cécité, visait à dénoncer la réalité vécue et le peu d’importance du tissu urbain face à la voiture.
Ce labyrinthe est situé face à un institut de psychologie. On peut y entrer et en sortir sans jamais pouvoir accéder au centre. Il évoque le cheminement et les hésitations de la pensée humaine. Ce que confirme l’inscription sur une contremarche « errare humanum est ».
La commande de trois peintures pour le centre de formation du personnel des télécommunications à Darmstadt est à l’initiative de l’architecte auteur du projet, une commande aussi inattendue que surprenante.
A Liège, des meneaux de pierre depuis longtemps disparus furent remplacés par un élégant croisillon en bronze. On cria au scandale. En plaçant à mon tour, une croix/miroir sur un des croisillons, j’ai voulu cacher l’objet de ce scandale en renvoyant à la ville l’image de sa propre laideur.
Trois bâtons peints dans un ancien pot de pharmacie, c’est d’abord un clin d’œil aux arts populaires et aux travaux de patience d’autrefois. Mais c’est dire que si les médicaments soignent, l’art aussi peut nous faire du bien.
Ce drapeau présente des barrettes disposées en éventail sur un ensemble de carrés. Le souffle du vent en perturbe sans cessel’ordre. C’est une sorte d’union permanente de la culture et de la nature.
Quelques cubes en écho des boutisses, c’est évident. Des formes sorties du baluchon de mon enfance où je ne cesse de puiser. Quant au promeneur, que lui revienne le plaisir d’y trouver ce qu’il veut.
Retour à l’architecture. Restaurer un bâtiment ancien ? Construire une maison contemporaine ? Par deux fois, l’architecte Charles Vandenhove a bien voulu dessiner notre habitation où nous trouvons espace, lumière et silence pour notre plus grand bonheur.