Michel Barzin

Michel BARZIN

Gravure et cuisine

Je suis tombé en amour avec la gravure il y a bien longtemps, après être tombé en amour avec la peinture, le dessin et le cinéma. Après les gouttes de pluie qui attendaient patiemment leur tour pour descendre de la vitre du salon. J’avais sept ans quand j’ai vu le pastel du cousin Alasdair, sur un papier grainé. Comme j’ai le coeur grand, je n’ai rien dû jeter de ces amours : une communauté d’esprit existe entre eux. Ça va bien, ça résiste.

Dans ce Tout, tout est sensuel. Et si tout est sensuel dans la peinture et le dessin ou certains cinémas, c’est bien dans la gravure que cette sensualité est la plus naturelle. C’est le paradoxe de la gravure : comment est-il possible, depuis une matrice si dure, d’atteindre cette douceur ? Du métal si froid, du bois ligneux, de la pierre si raide, l’encre, fidèle, restitue l’image en la poussant fermement dans le papier. Alors arrive un miracle de subtilité. Rigueur et douceur multipliée ! C’est cela qui m’intéresse dans ce médium, cette douceur-là, cette douceur tendue. Je n’ai nul besoin de m’en préoccuper, de la savoir ou de l’attendre : elle apparaîtra, visuelle et tactile. Du velours. Toujours. La mixture matrice / encre / papier / presse, de la fine gastronomie.

C’est important de pouvoir compter sur la force d’une technique pour ne plus se consacrer qu’à l’essentiel, l’image à créer, l’esprit libéré. Toute l’énergie est canalisée dans le geste fort ou léger. Au bout des doigts une pointe acérée qui effleure ou dans le poing de méchantes gouges qui attaquent sauvagement, à coups de maillet, tout support. L’image est tout, le reste est un cadeau, l’ensemble est jouissance.

Du moins, si l’image est bonne, c’est quand même mieux…

Je parlais du faire !

La gravure a un rythme plus lent, le résultat est différé alors qu’en dessin, quelqu’approche qu’on utilise, quand la mine touche, ça se voit. En gravure, jamais (sans même parler de l’inversion : sujet sans intérêt). Ce rythme particulier, cette patience obligée donne de l’air au cerveau, permet la réflexion en tenant le résultat à distance. Bien entendu, il ne faut pas se laisser bercer par cette quiétude, s’endormir, parce qu’on en remettrait vite une couche. De trop. C’est une des difficultés de la technique de garder le cap et la fraîcheur de l’idée. Pas la peine non plus d’étaler son savoir-faire : peu m’en chaut, en avoir assez suffit.

Il n’y a pas beaucoup de place pour le hasard. Tout est connu, choisi, décidé, le hasard lui-même dompté. Je ne me laisse pas faire par la matière : elle doit plier. Éventuellement, nous passons des accords elle et moi, nous signons des compromis, des conventions, mais le moins possible.

Je ne suis pas graveur, je suis un artiste (mot interdit de nos jours, il faut dire plasticien)… C’est un métier où il s’agit de coucher des idées et des réflexions personnelles sur un support quelconque en espérant tant intéresser quelqu’un, qu’il s’arrête. Quelle prétention. Ben, oui, mais c’est un beau métier et c’est le mien. J’utilise la gravure pour arriver à mes fins mais pas que. Elle n’est qu’un outil comme l’est la mine de plomb, une brosse, une caméra ou Photoshop. On choisit l’outil approprié à son discours. Parfois on adapte l’outil, on en invente un comme Gauguin faisant de son matelas une presse qui lui permet d’imprimer ses xylographies. À ce moment, il se passe un phénomène intéressant : un matelas n’imprime pas comme une presse typo. Si l’artiste décide d’accepter le résultat de cette manoeuvre, une nouvelle manière, un nouveau mode d’expression est né pour dire autrement ou autre chose. Un peu comme de nos jours nous voyons changer le cinéma par la qualité « pixellisée » des vidéos réalisées à partir de téléphones mobiles. On organise déjà des festivals de films de basse résolution. C’est un paradoxe de plus puisque d’autre part nous mettons au point des caméras d’une précision inouïe, tellement précises que notre œil lui-même ne pourra la percevoir. En son temps, nous avons accepté le cinéma muet, le noir et blanc, le Technicolor, le colorisé, le 8, 16, 35 mm. Tous ces paramètres grandioses nous appartiennent et nous pouvons y revenir quand bon nous semble. Idem pour la gravure. Ce n’est pas parce qu’apparaissent de nouvelles formes que nous n’aimons pas la rigueur ou le « beau métier ». L’important est d’atteindre au but.

À cette fin, il faut parfois casser le carcan des conventions poussiéreuses. C’est vital.

J’ai vu à la Biennale de Liège des grands bois encrés gras, très, très gras. Si gras que certaines tailles se bouchaient. Ça dégoulinait. Un puriste aurait refusé les tirages sans façon. C’eût été dommage parce que c’étaient de bien belles images : la mayonnaise avait pris. L’encre jouait son rôle autrement. Parfait : que l’artiste décide en tout état de cause du bien-fondé de sa manière. Quitte à choquer. Quitte à se tromper. Il y a plusieurs formes de gravure comme il y a plusieurs formes de cinéma. Il y a de multiples critères et quantité de normes. Fort bien, on ne va pas s’ennuyer.

La gravure aujourd’hui, c’est le contraire du foot : nous pouvons changer les règles, sans obligation du reste, pour un résultat différent. Au foot, les règles sont immuables et les résultats limités à marquer des buts de part et d’autre du terrain. C’est pas mal, mais bon, ça ne casse pas la baraque.

J’ai eu la grande chance de pouvoir remettre en route une petite presse à l’Ecole des beaux-arts de Kinshasa en janvier  dernier. Pour les étudiants et les artistes congolais c’était la toute première fois qu’ils imprimaient de la gravure. Ils avaient, pendant quelques heures, gravé des bois de fil, avec des clous, couteaux, lames de rasoirs. C’est leur quotidien : ils sculptent et gravent tous les jours. Cependant, quand la première épreuve, encrée en magenta, est sortie de la presse, ça a été l’euphorie. Bouleversant. L’émotion était à son comble et c’était la magie de la gravure : quelle force que ce cocktail image/ blessure-taille/ encre/ gaufrage dans le papier  grenu !

C’est pour retrouver cette émotion que je grave, parce qu’en plus d’être sensuelle, la gravure est force.

Gauguin, en déménageant, est-il devenu  citoyen-artiste du monde ou est-il demeuré un peintre parisien? Ce n’est évidemment pas là la question, néanmoins pourquoi dit-on – en Occident – qu’il est universel ? Et pourquoi mon ami Masangu rit-il devant l’ « Enlèvement des Sabines » de Rubens?

Je ne sais pas, moi, si mes images sont universelles, si elles peuvent émouvoir le monde indien et chinois ou si je suis un peintre régional, mais ce que je sais, c’est que la technique et la magie de la gravure sont universelles.

Alors je réalise mes ambitieuses petites images à l’aide de matrices de bois, de zinc, de cuivre, de pierre calcaire, d’écrans à pochoirs, d’encre noire, de couleurs. Et si besoin est, avec une caméra, un ordinateur et une souris. Parce que c’est en fin de compte travailler les petits accidents de la vie qui est mon moteur. Les petits accidents imaginaires d’imagier tentant d’atteindre la liberté à 360° qu’on nomme poésie. Un hochepot, quoi.

Michel Barzin, Haute Desnié, le 20 décembre 2007

 

Repères biographiques

Site : www.michelbarzin.be

Études de dessin et gravure aux académies de Bruxelles, Boisfort et Liège.

  • Élève de Claude Lyr, Henri Brasseur, Georges Comhaire, Dacos et Robert Kayser.
  • Professeur à l’Académie des Beaux-Arts de Verviers, à l’Académie Internationale d’été de Wallonie, aux Ateliers d’Art Contemporain.
  • Conférencier à l’ENSAV La Cambre (2002-2003), Académie Royale des Beaux-Atrs de Liège (2012) et à Saint Luc- Liège (2011- 2014)
  • Organisateur des triennales internationales de gravure de Spa, 1983-1986.
  • Fondateur des associations Silence, les Dunes ! (1989), Dialogue gravé (1983), Cuivre-à-Cœur (1982).
  • Membre permanent de la Poupée d’Encre depuis 1978, de la Biennale Internationale de gravure contemporaine et de l’atelier Raz Kas de 2002 à 2009.

Expositions personnelles et collectives de ces 10 dernières années

Michel Barzin expose depuis 1974Détails ICI.

2012

  • « Présent! », 300e anniversaire de l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles, De Markten, Bruxelles
  • Acquisitions de la province, Centre culturel de Spa
  • Colonie de Sicevo, Serbie – résidence
  • « L’été des cabanons », Draguignan , Var, France
  • 50e anniversaire de l’AIEW (AKDT), Ath, Arlon, Saint Hubert
  • 1m2, Galerie Nü Kozä,Dijon, France
  • « Effet bœuf » CC Soignies
  • « La peau d’Eric Ledune », installation à la piscine publique de Mouscron avec Sylvain Bayart
  • First Lingshi International print Biennial, Chine

2013

  • Galerie des Beaux Arts, Nis, Serbie
  • « Objet : ressemblance et détournement », art numérique, Biectr, Canada
  • « Naufrage» Biennale Internationale de gravure de Trois Rivières, Canada
  • Projection de films au « Colloque Imaginarium » et à la Biennale de Trois-Rivières, Canada
  • « Lèche vitrine », Métiers d’art, Liège
  • Biennale Internationale de Guanlan, Chine
  • « Vols » Galerie Juvénal, Huy
  • Triennale de gravure de Toulouse

2014

  • 1st Jogja miniprint biennale, Jogiyakarta, Indonésie
  • Triennale internationale de gravure de Belgrade, Serbie
  • De Markten, Bruxelles
  • « Dialogue gravé : Viet Nam- Belgium », Musée des Beaux-arts, Verviers
  • Petits formats, Nismes, ULB, Bruxelles
  • Centre culturel, Nismes

2015

  • Viet Nam- Belgium, Musée des Beaux-Arts, Hanoï, Viet Nam
  • Galerie Albert Dumont, Bruxelles,
  • Fondazione G. Whitaker, Palerme, Italie
  • La Poupée d’encre s’expose, Métiers d’Art, Liège
  • Altes Amt, Schönecken, Deutchland

2016

  • Exposition personnelle, Galerie Art 55, Nis, Serbie
  • Exposition personnelle à la galerija de Kraljevo, Serbie
  • Résidence à Studenica, Serbie
  • Galerie ABC, Verviers
  • Musée Kozara, Prijedor, Bosnie-Herzegovine
  • « Décollages » galerie Espace 157, Verviers
  • « Archers », Soignies
  • Studenica, 40e koloni, Kraljevo Gallery, Serbie
  • « Regards contemporains » – R Duguay, Trois Rivières, Canada

2017

  • 40 ans de la « Kolonija » de Studenica, Kraljevo, Serbie
  • Exposition personnelle « Histoires vraies » Galerie Monos, Liège
  • « Du dessin à la gravure » Métiers d’art, Liège
  • Sélection à la Biennale de gravure de Guanlan, Chine
  • Amitié Belgique -Maroc, Musée d’Histoire, Agadir, Essaouira, Maroc
  • « Le grand large@Verviers », ACAM Verviers
  • « De Markten », Bruxelles **
  • «  Capacity and tension », Shanghai, China

2018

  • « Dialogue gravé », Maison des Cultures, Molenbeek
  • Exposition avec Biljana Vukovic, Centre évangélique, Freiburg, Allemagne

Prix ou distinctions

  • Prix Van Haelen (dessin) 1971
  • Prix Créativité 75, Huy 1975
  • Prix Goebel-Fuerison (gravure) 1978
  • Grand Prix quinquennal de la Ville de Liège (gravure) 1978
  • Prix de la Paix (dessin), Mons, 1979
  • Prix du Millénaire de la Principauté de Liège (gravure) 1980
  • Prix des Jeunes Talents de la Province de Liège (1981)
  • Certificat d’excellence Small Works ART Horizons – New-York USA 1988
  • Médaille au salon Ulupuds (illustration), Belgrade, 1992
  • Nominé à la Biennale internationale de Maastricht, 1993
  • Lauréat du concours “ Œuvre publique ” pour le Hall Omnisports de Wegnez, 1993
  • Print Prize, Biennale de Guanlan, 2013
  • Premier prix à la Biennale Internationale de Kraljevo, Serbie, 2015

Œuvres dans les collections publiques

Cabinet des Estampes et des Dessins de la Ville de Liège, Centre de la Gravure et de l’Image imprimée de La Louvière, Chalcographie de Bruxelles, Communauté française de Belgique, État belge, Province de Liège, Banque Dexia, Bibliothèque Royale de Belgique, Bibliothèques des Chiroux, de Theux, de Montréal, d’Alexandrie, Musée royal de Mariemont, Musées de Cracovie, Katowice, Bormio, Colonie Markovac, Uzice, Asilah, Belgrade, Milan, Collections communales de Theux, Cul-des-Sarts, Université de Trois-Rivières, Ville de Metz, International Printmaking Base, Guanlan, Chine, First Lingshi International Print Biennial, Chine

ARTISTE

Michel BARZIN

DATES

25/3 > 24/4/2022

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