Jean-Marie Stroobants

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L’instabilité délibérée

Lorsque je regarde un dessin, une peinture ou une photographie qui me sont inconnus, je me soustrais à toute référence. Cette instabilité délibérée, c’est l’errance dans laquelle je vais seul, l’abandon dans lequel je me projette pour être, ici et maintenant, dans la perception et la lecture de l’image reçue. C’est aussi l’instant où se révèle une conjonction d’énergie, qui saura générer des émotions subtiles, profondes et imprévisibles. J’aime à découvrir ce qui est encore dans la marge et ne s’affiche pas sur les boulevards ou dans les couloirs du métro ; rencontrer les créateurs qui tous ont en commun de penser leur existence et de se consacrer aux états qu’ils traversent pour capter la vie dans son essence, qu’elle soit débâcle ou exultation.

En sondant notre monde que leur regard transcende, ces artistes nous instruisent sur la façon de voir ce qui seul importe. J’aime à partager la félicité de leurs créations pour qu’elle puisse rencontrer l’œil d’autrui. Un artiste contemporain a sa propre temporalité et toute œuvre, passée comme présente, peut être lue à différents niveaux. Par-delà les aspects formels et iconographiques, il est des allusions, des connotations personnelles ne demandant pas toujours une approche analytique. Si, face à l’art contemporain, nous éprouvons parfois un déficit de saveurs, nous le devons essentiellement à une rhétorique souvent vaine. La lecture d’une œuvre peut être aisée, quand cette dernière s’articule avec acuité et possède des qualités techniques et une rigueur formelle sachant s’adresser aux émotions esthétiques de chacun.

Plastiquement je suis né à l’âge de dix ans, telle la pointe d’un triangle isocèle formé, en ses côtés, par mes parents. Nous déambulions sur quelque digue de la côte belge, je ne sais plus trop laquelle. C’était en 1962. Soudain une affiche annonçant une exposition capta mon regard. J’interpellai ma mère, le segment gauche du triangle, avec l’injonction de nous y rendre, ce que nous fîmes aussitôt, mon père, le segment droit du triangle, demeurant sur le trottoir. J’en ressortis plongé dans une autre temporalité, vivant pour la première fois un choc visuel, une expérience esthétique qui m’avait soudainement extirpé d’une géométrie imposée pour me constituer à la première personne du singulier. L’art n’est pas immatériel ; il peuple la vie, éveille nos sens et fait sens. Il n’y a plus de piège.

En 1993, à Bruxelles, j’ai fondé le Cabinet d’Art Contemporain, rue Ernest Allard à Bruxelles, dans la cure de l’Église des Saints Jean-et-Étienne aux Minimes, où je résidais en tant qu’artiste peintre. Bien qu’à l’époque nous étions déjà en pleine crise financière, j’ai fait ce choix comme porté par une puissante énergie et par les plasticiens, leur présence à tout va et ce qu’ils nous donnent d’eux-mêmes. Et si l’incertitude leur est familière, beaucoup n’en demeurent pas moins fidèles à leur individualité singulière.

En 1997, une reconnaissance institutionnelle a permis au Cabinet d’Art Contemporain de devenir un centre d’art partenaire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Sept années plus tard, devant quitter la cure de l’Église des Minimes, après une courte période de nomadisme, je fus invité à découvrir l’espace qui allait devenir l’Office d’Art Contemporain, rue de Laeken, dans le centre de Bruxelles. Ce changement de quartier et ce nouveau lieu, très singulier, ont engendré une programmation privilégiant des œuvres souvent créées in situ.

Aujourd’hui, je considère comme définitivement obsolète la question de la « ligne » de l’Office d’Art Contemporain. Il m’importe surtout que l’artiste ait défini la sienne propre et investi le noyau de « sa » terre. Quant à moi, même si la peinture reste ce continent de silence dont l’étendue m’est la plus proche, je ne privilégie aucune chapelle esthétique.

Finissons-en également avec cette conviction commune que l’artiste est essentiellement rêveur, qu’il arpente des nuages délayés, étant attentif à sa seule langueur. Je n’en connais qu’investis et travailleurs, et dont émane en permanence une constance non démonstrative. Des créateurs dont la pensée, en sa pleine pertinence, nous conduit à demain.

Jean-Marie Stroobants

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Jean-Marie Stroobants
par Mikko Paakkola, juin 2017

Le point de départ de la peinture abstraite de Jean-Marie Stroobants pourrait sembler littéraire. Et le départ, c’est le point.

Le point n’a pas de forme dans le sens intelligible du terme. Ni largeur, ni longueur, ni épaisseur. Il « est », tout simplement. Il est indivisible, il est infiniment la plus petite existence au monde. Sa linéature est conceptuelle : le point est un lieu au sein duquel on ne distingue aucun autre lieu que lui-même.

La peinture a une forme. Toujours. L’objet peint a besoin de structures, de formes, de limitations et d’ouvertures. C’est la construction de la peinture : des formes définies et non-définies. C’est le domaine du monde sensible de Platon. La peinture pressent le monde des idées, celui que Platon définit comme la réalité réelle.

Quand Jean-Marie Stroobants peint un point, il a déjà visualisé radicalement une forme infinie, une idée, un objet de la pensée pure. Ce point présenté comme un cercle noir n’a ni début – ni fin mais a ses limites. Rigoureuses. Il rencontre l’espace. Il s’inscrit sur un fond bi-dimensionnel pour définir l’infini.

Le peintre intervient précisément ici. Jean-Marie Stroobants offre à ce point un espace différent, en même temps fini et infini. Sa touche picturale ouvre une troisième dimension : celle de la luminosité et de la transparence de l’air recherchées par les impressionnistes. Ses traits de pinceau, visibles avec leurs tonalités légères de couleurs subtiles, ouvrent une perception vers la lumière. Le point se trouve dans cet espace spatial et donc infini. Il est dans l’air, en plein ciel.

La peinture permet de donner une forme à l’espace infini, modèle de pensée et de réflexion. C’est ici une démarche platonicienne : cet espace pictural propose une idée intelligible au-delà du monde sensible des objets visibles.

Pour formuler l’espace infini et atteindre la rationalité il nous faut aborder la forme céleste. Une forme céleste simple et claire. Déjà les philosophes Parménide, Platon et Aristote avaient intégré l’idée d’une terre et d’un univers sphérique. A leurs yeux, la voûte céleste était ronde et au-delà il n’y avait rien. La limite ultime. Le cercle parfait. La forme du Dieu éternel des scolastiques, la fusion du Ying et du Yang chez les Chinois, la roue du dharma dans le bouddhisme. Jean-Marie Stroobants suit ses ancêtres et trace un épicycle.

Tel un démiurge, il l’offre. Les hommes ne dessinent pas de cercles parfaits. Les lasers le font. Pour se tenir au plus près de la pensée pure, il faut minimiser le doute humain. Au sein de ses compositions, l’artiste utilise le champ magnétique des aimants sur l’acier, symbole de notre civilisation post-industrielle. Il a abandonné la toile et les châssis du siècle passé.

Les espaces déterminés ont leur vie dans le monde des images. Notre concept de réalité se construit autrement. Au-delà du Dieu des scolastiques, il y a autre chose. Dans les formes proposées par le peintre il faut voir ce qu’il y a au-delà de ces limites. Les minimalistes l’ont bien compris, ainsi que les peintres dans le registre pur. C’est ainsi que les objets peints par Jean-Marie Stroobants continuent leur vie à l’extérieur de leur espace pictural. Les cercles à la forme limitée donnent accès à une autre question : qu’y a-t-il au-delà de l’espace ? Il ne répond pas mais ouvre des possibilités de réponse. Les points continuent leur trajet avec leurs traces vers des univers hors limites, hors cadre. Certains objets sont présentés avec des signes et des symboles extérieurs. Ils cassent les limites de l’espace pour tendre à l’infini. Les points prisonniers des espaces peints se sont libérés et notre point de départ s’élargit vers l’univers infini de la pensée pure.

Mikko Paakkola, juin 2017

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Parcours

Né le 11 décembre 1952. Vit et travaille à Bruxelles.

Expositions individuelles et en duo

  • 2018 : Jean-Marie Stroobants & Mikko Paakkola, Galleria Rankka, Helsinki.
  • 2017 : De l’un à l’autre, Jean-Marie Stroobants, duo avec Mikko Paakkola, Galerie Montanus, Dixmude.
  • 2016 : Futur antérieur, U Own Gallery, Rivoli Building, Bruxelles.
  • 2008 : Galleria Nefret (première foire d’art contemporain d’Helsinki – 18 et 19 octobre). (Catalogue)
  • 2007 : De la tête aux pieds je suis empli de mes yeux, Librairie Quartiers Latins, Bruxelles. (Affiche) • Jean-Marie Stroobants, duo avec Félix Hannaert, LaGalerie.be, Bruxelles.
  • 2005 : Jean-Marie Stroobants, duo avec Luc Hoenraet, Galerie Jan Colle, Gand.
  • 2002 : 30 étendards (-1), Installation au Musée de la Porte de Hal, Bruxelles (Journal×NOUS×).
  • 1999 : Chemin de Croix. Quatorze peintures de petit format intégrées aux pilastres côté chaire de vérité côté monument de Mérode. Eglise des Saints Jean et Etienne aux Minimes.
  • 1997 : Jean-Marie Stroobants, Galerie Détour, Namur.
  • 1991 : Iconographie double, L’Autre Musée, Bruxelles.
  • 1989 : Jean-Marie Stroobants, Galerie Côté jardin, Bruxelles.
  • 1985 : Jean-Marie Stroobants, Galerie Rosny, Bruxelles.
  • 1984 : Jean-Marie Stroobants, Galerie Rosny, Bruxelles.
  • 1981 : « Portraits », Centre International de Presse, Bruxelles.

Expositions collectives

  • 2016 : Generation Desorder, Galleria Rankka, Helsinki • Fragments autour d’un portrait de Patrick Guaffi, Bibliothèque Communale de Saint Josse.
  • 2013 : Supermarket Stockholm Independent Art Fair, Suède (catalogue).
  • 2011 : Supermarket Stockholm Independent Art Fair, Suède (catalogue).
  • 2010 : Opposition, Galerie Juvénal, Huy. (Plaquette) • Regards instables, Commissaire Patrick Guaffi, 45e Fêtes de la Saint Martin, Tourinnes la Grosse
  • 2009 : S’abstraire, Madmusée, Liège • By office, Galleria Maaret Finnberg, Turku • L’union fait la forme (exposition organisée par l’Office d’Art Contemporain) • Bozar, Bruxelles  •  Il y a rire et rire, Madmusée, Liège. (Catalogue) • By Office, Rauma Art Museum, Finlande (Catalogue) • Opposition Acte I, LaGalerie.be, Bruxelles • Librodeartista AZUL, Galerie Concha Pedrosa, Sevilla • Toute cruauté est-elle bonne à dire ?, La Centrale Electrique, Bruxelles.
  • 2008 : La vie en rond, H29, Bruxelles • Philippe Vosges – Collectionneur de montagnes, 3ème cime, Musée Ianchelevici, La Louvière (Affiche) • L’improbable encyclopédie, La Vénerie, Bruxelles.
  • 2007 : be-Autiful-Art exhibition at the Belgicarium – asbl “TOUT”, anciens entrepôts Pfiser, Bruxelles
  • 2006 : L’union fait la forme, Office d’art contemporain, Bruxelles • Philippe Vosges-Collectionneur de montagnes, Arte Coppo & Le Chalet de Haute nuit, Verviers (Affiche) • La Boîte, LaGalerie.be, Huy (Affiche)
  • 2005 : Truc Troc, Bozar,Bruxelles • La Boîte, LaGalerie.be, Bruxelles • Talent ? Art Exhibition & Events – Tour & Taxis, Bruxelles
  • 2004 : « La Main », LaGalerie.be, Bruxelles.
  • 2003 : Noces d’Or, Galerie Les Contemporains, Bruxelles. (Edition +-0) • Country, Le Chalet de Haute Nuit, Bruxelles • Quatuor d’été, Labo Art, Oudenaarde
  • 2002 : La Fête du Livre, HYPER SPACE, Galerie Marie Puck Broodthaers,Bruxelles.
  • 1997 : Kunst en Zwalm – Hommage à James Lee Byars (Catalogue) • Frédéric Tolmatcheff et Jean-Marie Stroobants, Espace Flux, Liège • (Journal de 4 pages – Cabinet d’art contemporain)
  • 1994 : Roger Bertemes, Philippe Charpentier, Jean-Marie Stroobants Galerie “Synthèse“, Bruxelles
  • 1993 : Evelyne Dubuc, Marc Rossignol, Jean-Marie Stroobants Centre Culturel Jacques Franck, Bruxelles (Affiche)
  • 1991 : Vincent Van den Meersch & Jean-Marie Stroobants Art Gallery Labyrint, Ostende (Affiche)
  • 1988 : Parcours d’artistes, Bruxelles (Catalogue)
  • 1986 : Exclusivement masculin, Galerie Rosny, Bruxelles
  • 1985 : Pourquoi Pas ? 75ème anniversaire, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles (N° spécial du Pourquoi Pas ?) • Salon du Mérite Artistique Européen, Casino-Koksijde
  • 1984 : Sixième Festival International des Arts plastiques et graphiques, Maison de la Culture, Mouscron
  • 1983 : Sélectionné au Prix Jeunes artistes – Médiatine, Bruxelles
  • 1982 : Un convoi pour la Pologne, Université Libre de Bruxelles
  • 1981 : Fragments du corps et du visage humains, L’Autre Musée, Bruxelles • L’autre Jeune Peinture, Gare centrale, Bruxelles
  • 1980 : Kunstwerken verworven door de Staat in 1978-1979 Provinciaal Museum, Hasselt (Catalogue)
  • 1977 : 10 dessinateurs de presse, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles (Affiche)
  • 1976 : 8 dessinateurs de presse, Théâtre des Rues, Bruxelles (Affiche)

ARTISTE

Jean-Marie STROOBANTS

DATE

03.06.22 > 03.07.22

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